Les souvenirs d'Albert CONTAL.
Le texte principal est celui d'un document
dactylographié (probablement pour Roger Bruge) à partir de notes
manuscrites d'Albert Contal (compte-rendu au Lieutenant Lamoureux rédigé en
1945 à Pouxeux)
J'ai inséré (en
vert) quelques élément du manuscrit qui n'ont pas été repris dans
le texte plus récent.
18 juin 1940- Combats de Saint-Sauveur (Haute-Saône)
Quittant
par voie ferrée la Ligne Maginot le 14 juin, une partie du 3ème
bataillon du 79ème RIF que commandait le capitaine Bonnet arrive à Luxeuil le
17 juin- Le lieutenant Lamoureux commande la 3ème CEF. Je dois aller prendre
position avec les deux groupes de mortiers de 81 au nord du terrain d'aviation,
près de Saint-Sauveur, au sud de Luxeuil. Nous y sommes à 17 heures, tandis
que chevaux et voiturettes sont dans une grange du village. Je place les pièces
dans deux carrières attenantes. Mon observatoire sera le balcon d'une petite
maison séparée de la carrière par une route. Ne disposant d'aucun moyen de
transmission, j'établirai un relais pour commander au geste et à la voix.
Vers
18 heures, le colonel Réthoré et le capitaine Bonnet viennent me voir. Je leur
indique les positions de mes armes, mon observatoire et demande des
renseignements sur l'ennemi et les liaisons à assurer. Renseignements : on ne
connaît rien de précis sur l'ennemi.
Cependant
le capitaine Bonnet ne demande de préparer des tirs en direction de la vallée
de la Lanterne et sur la partie de la voie ferrée qui borde le terrain déviation
à l'Est. Le colonel me promet le téléphone de mon observatoire aux pièces
pour le lendemain. Liaisons : à coté de nous, deux pièces de 75 du 69ème RA
(batterie du capitaine Récassens). A droite et à gauche : rien. Derrière
nous, le lieutenant Fix, avec ses 25, tient le carrefour au centre de
Saint-Sauveur.
Les
deux autres pièces de la batterie de 75 se trouvent également sur le point
d'appui.
Un
peu plus tard, je reçois un groupe de F.V. envoyé par le colonel. En raison de
notre isolement, je le tiens en réserve afin de le porter vers le point menacé.
Le soir, j'établis un tour de garde et nous nous couchons dans les abris des
aviateurs creusés dans les parois de la carrière. Je fixe le réveil à 4
heures car j'ai l'impression, intuition plutôt, que le lendemain, il y aura du
nouveau.
21
heures, je suis réveillé aux cris de "alerte". Un lieutenant
d'artillerie est là qui me rapporte que ses sentinelles aperçoivent des hommes
sur la partie sud du terrain. Il s'agissait du sergent Guéringer, chef de
groupe de mortier qui avait pris l'initiative d'une patrouille.
Rassuré,
le lieutenant me demande si nous avons mangé. Sur ma réponse négative, il
fait distribuer des conserves à mes hommes et m'invite. Je rencontre alors le
capitaine Récassens qui me dit n'avoir comme moi, aucun renseignement sur
l'ennemi. Je lui communique ma certitude de la bataille proche qui me fait
placer tout le monde aux emplacements de combat dès 4h30. Il décide de faire
de même.
A
4 heures, le 18 juin, je fais un tour sur le terrain d'aviation. A 4h45, une
colonne comprenant des chars et des camions arrive sur la côte de Baudoncourt
(route de Vesoul à Luxeuil) et s'arrête à quelques centaines de mètres : les
artilleurs avaient dressé des obstacles sur la route.
Nous
ne savons pas encore ce que c'est, mais après quelques secondes, nous sommes
fixés. L'ennemi arrose devant lui. Aussitôt, la pièce de 75 placée dans un
hangar à 50 mètres à l'est de la route entre en action. Elle détruit les
premiers blindés. Mes mortiers tirent sur des camions restés en arrière et
l'un d'eux flambe. Les autres font demi-tour. J'observe par un balcon situé au
premier étage de la maison. Les Allemands canonnent immédiatement le château
d'eau placé en bordure de la carrière, au sud, ainsi que la maison isolée où
je me trouve.
Le
château d'eau est touché en plein. Heureusement, personne n'est en haut. Le
premier obus qui atteint la maison perce le mur à un mètre à ma droite. Il éclate
dans la pièce voisine démolissant la cloison. Je suis couvert de morceaux et
de poussières de brique mais je n'ai qu'une blessure superficielle à la jambe
droite. Je descends à la cave et le tir cessant sur la maison, je remonte après
quelques minutes. Le lieutenant d’artillerie vient alors avec moi. A ce moment
le tir reprend sur la maison et sur nos positions. Le lieutenant est blessé à
la figure par un petit éclat qui lui ouvre une grande partie de la lèvre supérieure.
Je retire l'éclat (avec une pince à ongle que je fis
flamber) à la cave où nous descendions sitôt la nouvelle salve et il la place
dans son porte-monnaie. Je n'avais rien.
Malheureusement,
la pièce de 75 qui bat la route, repérée, est atteinte de plein fouet.
Tous les servants, sauf un, sont touchés. (seul le
sergent n'est pas touché. Parmi les servants, un blessé, les autres morts.)
Une
accalmie survenant, je vais voir mes hommes. Personne n'est blessé. Un seul a
eu la capote arrachée à une épaule, alors qu'il
était à plat-ventre.
Vers
8 heures, l’ennemi a allongé son tir. Fix vient me voir en dépit des obus
qui éclatent
encore de temps à autre au-dessus des carrières. Je lui donne un court
compte-rendu destiné au lieutenant Lamoureux.
Pour
surveiller les mouvements ennemis, je retourne dans la maison et observe de
l’intérieur du premier étage détruit. Un sous-lieutenant d'artillerie était
venu remplacer le lieutenant blessé. C’est alors qu'un char Renault d'un
modèle ancien, venu nous appuyer, est rapidement hors de combat.
Un
peu plus tard, je remarque au sud du terrain, avançant vers nous, deux chars de
l'infanterie progressant par bonds. Le second 75 placé à une vingtaine de mètres
de l'observatoire et resté intact, tire ainsi que le F.M.. L'ennemi n'insiste
pas. En réalité il nous tourne.
A
11 heures 30, j'aperçois une fusée lancée du village. N'ayant pas le code des
signaux, je fais rester tout le monde en place. A midi trente, Fix vient me prévenir
lui-même de l'ordre de repli. Nous abandonnons sacs et cantines pour emporter
matériel et munitions à dos. Je laisse le F.M. avec le sergent-chef Guislain
pour nous couvrir. Le groupe nous rejoint 10 minutes après au carrefour de
Saint-Sauveur que Fix a ordre de tenir encore.
Mes
mortiers ne peuvent plus me servir à l'intérieur du village. Je place le F.M.
dans une maison, m'arme d'un mousqueton car les Allemands, nous ayant tournés
par notre droite, sont dans la partie nord du village, coupent la route de
Luxeuil. Avec quelques hommes, j'avance, rasant les murs, mais nous ne pouvons
parcourir plus de 50 mètres, les Allemands interdisant le passage à l'endroit
où la rue décrivait une légère courbe. Le sergent Stoss, du premier
bataillon, le soldat Gangloff pénètrent dans les maisons en passant par les
jardins. Ils tirent par les fenêtres et surprennent l'ennemi. Stoss abat cinq
Allemands. N'ayant plus de cartouches, il descend dans la rue pour chercher le
fusil d'un mort, afin de continuer la lutte. Guéringer tire, agenouillé sur le
trottoir. Je suis couché de l'autre coté, quand je n'ai plus de cartouches, il
m'en lance une poignée. Je vois toujours basculer le premier soldat vert que
j'abattis. Il ajustait Guéringer, à 40 mètres, mais je fus plus rapide que
lui. Les obus éclatent sur les toits et les tuiles voltigent un peu partout.
Le
conducteur Denis qui avait récupéré un cheval de la maison démolie où étaient
restées nos voiturettes fut blessé à la tête mais put se relever. Le soldat
Paquet,
d'une pièce de 25, reçut un éclat d'obus dans le ventre. Le soldat
Schister, le casque entaillé par une balle au- dessus de l'oreille droite,
n'avait aucune blessure. Les artilleurs avaient eu moins de chance, les servants
d'une pièce ayant été touchés.
Grâce
à l’appui de quelques chars qui étaient venus nous prêter main forte, nous
étions à peu près tranquilles vers 15 heures. Fix pouvait alors assurer le
repli sur Faucogney, grâce à ses chenillettes et quelques camions
d'artillerie. Nous emportions armes et munitions.
Un
médecin lieutenant nous dit : " Je reste pour soigner les blessés que
vous n'emmenez pas."
Vers
16 heures, malgré quelques obus, nous arrivons à l'entrée de Faucogney. Nous
n'avons pas de nouvelles du capitaine Bonnet commandant le bataillon ni du
lieutenant Lamoureux commandant la 3ème CEF
Le
commandant Jodeau nous fixe immédiatement notre nouvelle mission :
interdire les routes venant de Luxeuil et de Mélisey qui convergent sur
Faucogney. Je ne place qu'un groupe au sud du village, dans une partie boisée
dominant la vallée étroite, n'ayant plus assez de munitions pour en faire
intervenir efficacement deux. Le deuxième groupe devient groupe de voltigeurs.
Nous
n'avons rien mangé depuis la veille. Le commandant nous fait donner du pain et
du bœuf en conserve. J'établis un tour de guet et nous nous couchons dans le
bois.
Rien
ne se passe jusqu'au lendemain 19.
19
juin 1940. Combats de Faucogney (Haute-Saône)
La
nuit a été très douce. J'ai dormi au pied d'un arbre, sans faire de mauvais rêve.
Vers 8 heures, le lieutenant Laloy, qui avait pris le commandement du bataillon
en l'absence du capitaine Bonnet, me fait transmettre l'ordre de tirer sur un
pont détruit la veille, sur le Breuchin. Les Allemands avaient établi une
passerelle durant la nuit. J'exécute l'ordre mais ne puis vérifier le résultat.
Vers
13 heures 30, sur la route de Mélisey, un side-car allemand apparaît. Un char
français placé à la corne du bois s'avance. Les deux allemands abandonnent le
véhicule et gagnent la forêt à toutes jambes. L'engin est détruit.
Un
peu après, l'artillerie ennemie bombarde tous les buissons entre les deux
routes ainsi que les premières maisons du village. Notre artillerie riposte.
Vers
15 heures 30, Guéringer repère un canon antichar allemand en bordure de la route
de Luxeuil. Un tir de mortier immédiatement exécuté le fait taire, mais je ne
puis affirmer sa destruction car il était à la lisière de la forêt. C’est
alors que l'ennemi arrose à la mitrailleuse le versant où nous sommes. Nous
nous abritons derrière les arbres. Personne n'est touché, le tir étant imprécis
car nous n’avons pas été exactement repérés.
J’interviens
encore, prenant comme objectif un boqueteau, à 500 mètres au sud-ouest de
Faucogney, où l’infanterie ennemie était parvenue,
Vers
16 heures, l’ordre de repli est donné. Nous chargeons le matériel et partons
sur des camions. L'ennemi tire sur la route que nous empruntons. Un obus explose
à trente mètres de
nous, pas de dégâts.
Nous
arrivons au col du Mont de Fourche. Le colonel Réthoré, le capitaine Boutry et
d'autres officiers sont là. Le capitaine Bonnet arrive ensuite. Je reste avec
mes hommes, assis derrière une petite maison, en face du café. Nous restons là
environ une heure, attendant des ordres. Tout à coup, des rafales d'armes
automatiques se font entendre. Le colonel donne l'ordre de se diriger vers Le Chêne.
Mes hommes grimpent sur un camion, certains sur les marchepieds. Je descends à
pied, en compagnie du sous-lieutenant Bickar. Sur le pont de la Moselle à Rupt,
nous retrouvons le capitaine Bonnet armé d'un mousqueton. Il garde Bickar et me
dit de continuer vers Ferdrupt. Arrivé où étaient le colonel avec un général,
je ne trouve plus mes hommes, le camion ayant du se tromper de route. A l'écart,
je vois Fix qui me dit qu'au retour de Faucogney, il
avait perdu du personnel et du matériel, du fait de l'artillerie ennemie. Je lui demande ce qu'on doit faire. Il me répond: C'est fini, le
colonel a dit de prendre le maquis. Il paraît qu'une armée se reforme vers Gérardmer"
"Que
fais-tu ? " Lui demandai-je.
"Je
reste avec le colonel." Me dit-il.
"Alors,
vous allez vous laisser prendre ici ?"
II
hausse les épaules, désespéré. Je lui serre la main et lui dit à peine au
revoir, ne voulant pas lui laisser voir que je pleurais.
Je
me dirige vers un pain de sucre qui domine Ferdrupt, au nord de ce village,
voulant gagner Gérardmer.
Sur
la pente, je rencontre un groupe de soldats parmi lesquels se trouvaient
Domptail, l'ordonnance du capitaine Bonnet et Géhin André. Aucun officier
n'est avec eux. Ils ne savent que faire, disant qu'ils doivent aller dans la
montagne. Je leur dis de ne pas se rendre et de venir avec moi. Nous montons et
couchons sous les sapins en haut du pain de sucre. Nous trouvons des tracts lancés
d'avion. "Armée d'Alsace, ne renouvelez pas le désastre de Dunkerque.
Soldats, vous êtes encerclés. Cessez la lutte, vous regagnerez rapidement vos
foyers."
Suite.